Chansons à textes

 

 

Fille d’ouvriers (Jules Jouy la bouche ouverte)

 

Pâle ou vermeille, brune ou blonde,
Bébé mignon,
Dans les larmes ça vient au monde,
Chair à guignon.
Ébouriffé, suçant son pouce,
Jamais lavé,
Comme un vrai champignon ça pousse
Chair à pavé

A quinze ans, ça rentre à l'usine,
Sans éventail,
Du matin au soir ça turbine,
Chair à travail.
Fleur des fortifs, ça s'étiole,
Quand c'est girond,
Dans un guet-apens, ça se viole,
Chair à patron.

Jusque dans la moelle pourrie,
Rien sous la dent,
Alors, ça rentre "en brasserie",
Chair à client.
Ça tombe encore: de chute en chute,
Honteuse, un soir,
Pour deux francs, ça fait la culbute,
Chair à trottoir.

Ça vieilli, et plus bas ça glisse...
Un beau matin,
Ça va s'inscrire à la police,
Chair à roussin;
Ou bien, "sans carte", ça travaille
Dans sa maison;
Alors, ça se fout sur la paille,
Chair à prison.

D'un mal lent souffrant le supplice,
Vieux et tremblant,
Ça va geindre dans un hospice,
Chair à savant.
Enfin, ayant vidé la coupe.
Bu tout le fiel,
Quand c'est crevé, ça se découpe.
Chair à scalpel.

Patrons! Tas d'Héliogabales,
D'effroi saisis
Quand vous tomberez sous nos balles,
Chair à fusils,
Pour que chaque chien sur vos trognes
Pisse, à l'écart,
Nous les laisserons vos charognes,
Chair à Macquart!

 

 

 

L’amour qui s’fout de tout (Gaston Couté tanisé dans un panier)

Le gas était un tâcheron
N'ayant que ses bras pour fortune ;
La fille : celle du patron,
Un gros fermier de la commune.
Ils s'aimaient tous deux tant et plus.
Ecoutez ça, les bonnes gens
Petits de coeur et gros d'argent !
L'Amour, ça se fout des écus !

Lorsqu'ils s'en revenaient du bal
Par les minuits clairs d'assemblée,
Au risque d'un procès-verbal,
Ils faisaient de larges roulées
Au plein des blés profonds et droits,
Ecoutez ça, les bonnes gens
Qu'un bicorne rend grelottants !
L'Amour, ça se fout de la Loi !

Un jour, furent tous deux prier
Elle : son père ! Et lui : son maître !
De les laisser se marier.
Mais le vieux les envoya paître ;
Lors, ils prirent la clé des champs.
Ecoutez ça, les bonnes gens
Qui respectez les cheveux blancs !
L'Amour, ça se fout des parents !

S'en furent dans quelque cité,
Loin des labours et des jachères ;
Passèrent ensemble un été,
Puis, tout d'un coup, ils se fâchèrent
Et se quittèrent bêtement.
Ecoutez ça, les bonnes gens
Mariés, cocus et contents !
L'Amour, ça se fout des amants !

 

 

 

La chanson du decervelage (Alfred Jarretelles et balconnets)

a#E a#E a#F a#F#

cF# cF# cG cG#

dA eB f#C#

Ec#BE

 

Je fus pendant longtemps ouvrier ébéniste,
Dans la ru’ du Champ d’Mars, d’la paroiss’ de Toussaints.
Mon épouse exerçait la profession d’modiste,
Et nous n’avions jamais manqué de rien. -
Quand le dimanch’ s’annonçait sans nuage,
Nous exhibions nos beaux accoutrements
Et nous allions voir le décervelage
Ru’ d’l’Échaudé, passer un bon moment.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !


Nos deux marmots chéris, barbouillés d’confitures,
Brandissant avec joi’ des poupins en papier,
Avec nous s’installaient sur le haut d’la voiture
Et nous roulions gaîment vers l’Échaudé. -
On s’précipite en foule à la barrière,
On s’fich’ des coups pour être au premier rang ;
Moi je m’mettais toujours sur un tas d’pierres
Pour pas salir mes godillots dans l’sang.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !


Bientôt ma femme et moi nous somm’s tout blancs d’cervelle,
Les marmots en boulott’nt et tous nous trépignons
En voyant l’Palotin qui brandit sa lumelle,
Et les blessur’s et les numéros d’plomb. -
Soudain j’perçois dans l’coin, près d’la machine,
La gueul’ d’un bonz’ qui n’m’revient qu’à moitié.
Mon vieux, que j’dis, je r’connais ta bobine,
Tu m’as volé, c’est pas moi qui t’plaindrai.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !


Soudain j’me sens tirer la manch’ par mon épouse :
Espèc’ d’andouill’, qu’ell’m’dit, v’là l’moment d’te montrer :
Flanque-lui par la gueule un bon gros paquet d’bouse,
V’là l’Palotin qu’a just’ le dos tourné. -
En entendant ce raisonn’ment superbe,
J’attrap’ sus l’coup mon courage à deux mains :
J’flanque au Rentier une gigantesque merdre
Qui s’aplatit sur l’nez du Palotin.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !


Aussitôt j’suis lancé par-dessus la barrière,
Par la foule en fureur je me vois bousculé
Et j’suis précipité la tête la première
Dans l’grand trou noir d’ous qu’on n’revient jamais. -
Voilà c’que c’est qu’d’aller s’prom’ner l’dimanche
Ru’ d’l’Échaudé pour voir décerveler,
Marcher l’Pinc’-Porc ou bien l’Démanch’-Commanche,
On part vivant et l’on revient tudé.
Voyez, voyez la machin’ tourner,
Voyez, voyez la cervell’ sauter,
Voyez, voyez les Rentiers trembler ;
(Chœurs) : Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu !

 

 

 

Jabberwocheux (Les Ouies Scarroll / Trad. Henri Parisot les oreilles en chou-fleur)

 

Il était reveneure; les slictueux toves
Sur l'allouinde gyraient et vriblaient;
Tout flivoreux vaguaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.

«Au Jabberwoc prends bien garde, mon fils!
A sa griffe qui mord, à sa gueule qui happe!
Gare l'oiseau JeubJeub, et laisse
En paix le frumieux, le fatal Bandersnatch!»

Le jeune homme, ayant ceint sa vorpaline épée,
Longtemps cherchait le monstre manxiquais,
Puis, arrivé près de l'arbre Tépé,
Pour réfléchir un instant s'arrêtait.

Or, tandis qu'il lourmait de suffèches pensées,
Le Jabberwoc, l'oeil flamboyant,
Ruginiflant par le bois touffeté,
Arrivait en barigoulant!

Une, deux! une, deux! Fulgurant, d'outre en outre,
Le glaive vorpalin perce et tranche : flac-vlan!
Il terrasse la bête et, brandissant sa tête,
Il s'en retourne, galomphant.

«Tu as tué le Jabberwoc!
Dans mes bras, mon fils rayonnois!
O jour frableux! callouh! calloc!»
Le vieux glouffait de joie.

Il était reveneure; les slictueux toves
Sur l'allouinde gyraient et vriblaient;
Tout flivoreux vaguaient les borogoves;
Les verchons fourgus bourniflaient.

 

 

Mazarinade (Response des frondeurs aux Mazarinistes)


Mazarin, Cardinal, à qui le Diable aye pour tout partage dans les Enfers, & que tu sois le rebut de Lucifer & de Belezebut, & que pire que n’a iamais esté Orphée, & que tu serves de boulles à Caron, que tu serves de tabac en machicatoire à tous ceux des Enfers, Nous t’écrivons nostre bonne volonté, en réciproque de la tienne que tu n’as pas le pouvoir d’exécuter, ne dois tu pas rougir de honte, veu que tu as esté tant de fois condamné par plusieurs Arrests, a estre pendu & estranglé & que ton corps seroit ietté a voirie, comme estant le voleur de tous les Royaumes ne parle plus des Parisiens, ce sont eux qui te feront périr, en te faisant déchirer par éguillettes, & par après ils te feront rostir comme l’ont fait des harrans, t’arrachant tous les membres les uns après les autres, montrant ta teste au bout d’un baston, & avec des cris, Voylà le voleur des voleurs, le scélérat des scélérats, & l’impie des impies, le sacrilège des sacrilèges, celuy à qui toute la France & l’Espagne & tous

 

 

Poèmes en chansons

 

 

Les Djinns (Victor Hugo)


Murs, ville
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit.

La voix plus haute
Semble un grelot.
D'un nain qui saute
C'est le galop.
Il fuit, s'élance,
Puis en cadence
Sur un pied danse
Au bout d'un flot.

La rumeur approche,
L'écho la redit.
C'est comme la cloche
D'un couvent maudit,
Comme un bruit de foule
Qui tonne et qui roule
Et tantôt s'écroule
Et tantôt grandit.

Dieu! La voix sépulcrale
Des Djinns!... - Quel bruit ils font!
Fuyons sous la spirale
De l'escalier profond!
Déjà s'éteint ma lampe,
Et l'ombre de la rampe..
Qui le long du mur rampe,
Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,
Et tourbillonne en sifflant.
Les ifs, que leur vol fracasse,
Craquent comme un pin brûlant.
Leur troupeau lourd et rapide,
Volant dans l'espace vide,
Semble un nuage livide
Qui porte un éclair au flanc.

Ils sont tout près! - Tenons fermée
Cette salle ou nous les narguons
Quel bruit dehors! Hideuse armée
De vampires et de dragons!
La poutre du toit descellée
Ploie ainsi qu'une herbe mouillée,
Et la vieille porte rouillée,
Tremble, à déraciner ses gonds.

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure!
L'horrible essaim, poussé par l'aquillon,
Sans doute, o ciel! s'abat sur ma demeure.
Le mur fléchit sous le noir bataillon.
La maison crie et chancelle penchée,
Et l'on dirait que, du sol arrachée,
Ainsi qu'il chasse une feuille séchée,
Le vent la roule avec leur tourbillon!

Prophète! Si ta main me sauve
De ces impurs démons des soirs,
J'irai prosterner mon front chauve
Devant tes sacrés encensoirs!
Fais que sur ces portes fidèles
Meure leur souffle d'étincelles,
Et qu'en vain l'ongle de leurs ailes
Grince et crie à ces vitraux noirs!

Ils sont passés! - Leur cohorte
S'envole et fuit, et leurs pieds
Cessent de battre ma porte
De leurs coups multipliés.
L'air est plein d'un bruit de chaînes,
Et dans les forêts prochaines
Frissonnent tous les grands chênes,
Sous leur vol de feu pliés!

De leurs ailes lointaines
Le battement décroît.
Si confus dans les plaines,
Si faible, que l'on croit
Ouïr la sauterelle
Crier d'une voix grêle
Ou pétiller la grêle
Sur le plomb d'un vieux toit.

D'étranges syllabes
Nous viennent encor.
Ainsi, des Arabes
Quand sonne le cor,
Un chant sur la grève
Par instants s'élève,
Et l'enfant qui rêve
Fait des rêves d'or.

Les Djinns funèbres,
Fils du trépas,
Dans les ténèbres
Pressent leur pas;
Leur essaim gronde;
Ainsi, profonde,
Murmure une onde
Qu'on ne voit pas.

Ce bruit vague
Qui s'endort,
C'est la vague
Sur le bord;
C'est la plainte
Presque éteinte
D'une sainte
Pour un mort.

On doute
La nuit...
J'écoute: -
Tout fuit,
Tout passe;
L'espace
Efface
Le bruit.

Victor Hugo

 

 

... (Antonin Artaud)

 

Avec moi dieu-le-chien, et sa langue
qui comme un trait perce la croûte
de la double calotte en voûte
de la terre qui le démange.

Et voici le triangle d'eau
qui marche d'un pas de punaise,
mais qui sous la punaise en braise
se retourne en coup de couteau.

Sous les seins de la terre hideuse
Dieu-la chienne s'est retirée,
des seins de terre et d'eau gelée
qui pourrissent sa langue creuse.

Et voici la Vierge-au marteau,
pour broyer les caves de terre,
dont le crâne du chien stellaire
sent monter l'horrible niveau.

A. Arthaud

 

 

Le pouvoir temporel du pape (Benjamin Peret)


La sueur noire des porcs

accoucha d'un pou blanc

Gras visqueux il grandit

Comme il était italien

il entreprit sa pauvre marche sur Rome

et un jour arriva au cul sale du Vatican

Ce n'était plus qu'un morpion au milieu de christs pourris

et de vierges violées par ses ancêtres

 

Des vierges putains qui soulagèrent leur ventre

dans la tinette du bénitier

vous naquîtes

viandes d'églises suifs du confessionnal

pourritures eucharistiques

et dans le nombril de chacun de vous noir violet ou rouge

se gonfle le pou blanc

Le frère de celui qui las de vomir dans son Vatican

veut désormais contaminer les voisins

avec l'encens de son ventre galeux

 

Et les voisins sont satisfaits

Ils s'assemblent sur son passage

déchets de légumes dans les halles vides

Et voilà l'Italie fasciste

 

 

 

Faisons ruisseler les entrailles des seigneurs aux doigts blancs (Cantilène anonyme)
 
Oh ! les manants ! L’heure a sonné,
La brute enfin a raisonné,
La haine fait parler la force,
Oh ! les manants au poitrail nu
Notre jour est enfin venu,
Le chêne a fendu son écorce.

Oui, la haine a grincé dans l’air,
C’est comme un ciel lourd où l’éclair
Darde une flèche éblouissante ;
C’est un coup de pied dans les nids
Des parias et des bannis ;
C’est la révolte menaçante !

Le sang coule par les sentiers
Des villages, des bourgs entiers
Croulent dans un reflux de flamme,
Les drapeaux noirs flottent dans le vent,
Et tout se fond, tout fuit devant
L’âpre revanche qu’on acclame.

O vielle haine au regard clair,
Ronge les os, mâche la chair,
Fais litière des grugeurs d’hommes
Les oppresseurs sont aux abois,
Hurlons par les monts et les bois,
Bêtes féroces que nous sommes !

A coup de trique, à coup de poing
Tapons ; les maîtres ne sont point,
Eventrons châteaux et murailles.
Broyons les seigneurs aux doigts blancs,
Et par les accrocs de leur sang,
Faisons ruisseler leurs entrailles.

Et mordons à même, en vieux loups,
Nos ongles, durs comme des clous,
Se crisperont dans la chair fraîche,
Et buvons le sang à plein goulot,
Et qu’il mousse, qu’il coule à flot,
Sur nos langues à la peau sèche !

 

 

L’idole : Sonnet du trou du cul (Paul Verlaine et Arthur Rimbaud)


Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
À travers de petits caillots de marne rousse
Pour s’aller perdre où la pente les appelait.

Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C’est l’olive pâmée, et la flûte caline ;
C’est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !